Dans un article publié en 2014 dans Médecine/Sciences, intitulé « Rôle du cortex préfrontal dans l’adaptation comportementale chez l’homme », Emmanuelle VOLLE et Richard LEVY expliquent que l’être humain « …est capable d’adapter son comportement en fonction du contexte, de ses besoins, et des buts qu’il poursuit. Il est en mesure d’élaborer et de planifier des actions nouvelles et complexes, et de les modifier de façon flexible lorsque les circonstances changent. Ces capacités mentales permettent l’adaptation de l’homme à un monde complexe et changeant, et dépendent de l’intégrité du tiers antérieur du cerveau : les lobes frontaux. L’adaptation comportementale résulte d’une balance entre les comportements automatiques ou routiniers, qui demandent peu d’effort cognitif, et les comportements volontaires et contrôlés, qui réclament plus de ressources. Les comportements automatiques conviennent aux situations habituelles et bien connues pour lesquelles nous avons des schémas d’action préétablis (par exemple, conduire sur un trajet quotidien). Dans des situations nouvelles, changeantes, ou lorsque les comportements habituels ne sont pas appropriés, l’adaptation nécessite de changer de comportement, et parfois d’en générer de nouveaux (par exemple, conduire vers une destination pour la première fois). Les capacités mentales requises dans ces situations appartiennent aux fonctions dites exécutives. ».
Ainsi, en plus d’automatismes économes, l’évolution a doté notre cerveau d’une grande capacité d’adaptation. Une neuro-agilité, en quelque sorte. Nous tenons là nos deux modes mentaux.
Les dimensions du mode mental adaptatif
L’Approche Neurocognitive et Comportementale distingue six dimensions du mode mental adaptatif. Ce sont des paliers dans le processus de prise de décision, qui définissent la nature du traitement de l’information relative à une situation.
Nous allons les parcourir avec la contribution graphique des participants de l’atelier « agilité et intelligence collective – l’approche NeuroCognitive et Comportementale » de l’Agile Tour Paris 2018 du 5 décembre, que nous avons coanimé avec IME Conseil. Merci de leur enthousiasme et de leur créativité.
La curiosité
C’est la capacité à rechercher de manière active, exploratoire et sensorielle la nouveauté ; l’esprit de découverte ; la quête active de l’autre, de la différence ou de l’exotisme.
Elle s’oppose à la routine qui aime les habitudes, le connu et se tient à distance de la nouveauté et de l’inconnu.
La souplesse
C’est la capacité à s’ouvrir physiquement et mentalement à l’imprévu ; à accepter la survenance d’événements qui dérangent ; à accepter la réalité, toute la réalité, sans pour autant s’y soumettre ou s’y résigner.
Elle s’oppose à la persévérance qui va chercher obstinément à atteindre un objectif malgré les écueils ou à résister à un changement inéluctable.
La nuance
C’est la capacité à concevoir les intermédiaires, le positif à côté du négatif, les avantages cachés sous les inconvénients, et vice-versa ; à avoir une perception du caractère infiniment complexe et mouvant des relations entre éléments.
Elle s’oppose à la simplification qui ne s’embarrasse pas des nuances ou de la complexité pour préférer la facilité et la rapidité de décision.
La relativité
C’est la capacité de prendre conscience que chacun porte son propre regard sur les choses, que toutes les visions – y compris la sienne – sont relatives et limitées par rapport au réel, que la perception spontanée de ce que l’on voit n’est pas la réalité entière.
Elle s’oppose à la certitude, qui est la conviction enracinée que notre vision personnelle du monde représente infailliblement la réalité.
La rationalité
C’est la capacité à rechercher activement la compréhension des mécanismes cachés qui animent le monde ; le sentiment que tout pourrait se comprendre, qu’il y a des causes sous les éléments visibles ; c’est vivre la logique comme un « regard », un sixième sens qui perce les mystères des sensations.
Elle s’oppose à l’empirisme qui recherche les recettes qui marchent et la reproduction des expériences déjà vécues, sans « prise de tête ». Si ça a marché, alors ça va marcher. Et si ça ne marche pas, c’est qu’il faut en faire plus pour que ça marche.
L’opinion personnelle
C’est la construction d’une opinion ni soumise, ni réactive au regard des autres. Si l’on cherche l’opinion ou les ressentis des autres, c’est pour enrichir son propre point de vue, et non par crainte du jugement. Sans peur du regard des autres ni esprit de fierté, son opinion s’exprime même si elle diverge de celle des autres. Le risque d’erreur est assumé car il est inhérent à toute décision.
A l’opposé, l’image sociale est le joug du regard et du jugement des autres, qui aligne son opinion à ce qui est acceptable socialement par le groupe.
Les caractéristiques du mode mental adaptatif
Le mode mental adaptatif a des caractéristiques bien particulières qui lui confèrent une grande agilité pour le changement et la transformation :
- Il est capable d’apprentissage en continu ;
- La majeure partie de son travail est inconscient, même s’il peut accéder à la conscience. De façon générale, il peut utiliser les ressources du mode mental automatique, mais peut aussi les inhiber (et donc nous permettre de résister aux biais cognitifs du mode mental automatique).
Quand le mode mental adaptatif prend les commandes, le ressenti est le calme ou la sérénité. Une étude conduite en 2005 par Sara LAZAR et ses collègues a d’ailleurs établi une relation entre la pratique régulière de la méditation et la densité de connexions neuronales au niveau du cortex préfrontal gauche. Le cerveau peut se muscler, même à un âge avancé.
Mais ses capacités ne sont pleinement effectives que lorsque le cerveau est mature, et le moins que l’on puisse dire est qu’il prend son temps : deux à trois décennies.
Face au changement ou à la transformation, la grande différence entre les deux modes mentaux est que seul l’adaptatif atteint rapidement la case acception pour rebondir vers une exploration appréciative ou piétiner dans la procrastination, tandis que le mode automatique est capable d’une très grande variété de postures et de comportements qui vont du stress au déni en passant par le bouillonnement émotionnel et une action inefficace destinée à se donner l’illusion d’un contrôle, dans la glue d’une ingénierie du consentement ou dans la résistance.
Développer le mode mental adaptatif
Dès 1990, dans « La cinquième discipline », Peter SENGE expose le principe d’organisation apprenante : « une organisation qui développe sans cesse sa capacité à bâtir son futur ». Par l’apprentissage, elle fait de l’adversité une opportunité, se connectant ainsi au Wei-Ji de la pensée stratégique chinoise.
En 2001, le manifeste agile établit une définition de l’agilité qui signifie adaptativité. Le mouvement de l’agilité, avec son effervescence actuelle de méthodes et de cadres de référence, travaille plus sur l’axe du processus que la propagation d’un état d’esprit adaptatif. Pourtant, le manifeste met bien en exergue les individus et leurs interactions, ce qui devrait inciter à une plus grande dynamique de recherches et d’initiatives sur les mécanismes sociologiques à l’œuvre dans l’entreprise.
We considered a bunch of names, and agreed eventually on « agile » as we felt that captured the adaptiveness and response to change which we felt was so important to our approach.
D’ailleurs, tout le monde parle d’agilité à l’échelle. Il conviendrait de parler d’agilité aux échelles afin de concilier méthodologie (axe horizontal), culture et comportements (axe vertical).
L’équipe de R&D de IME Conseil a développé un inventaire de personnalité qui permet, entre autres composantes, d’évaluer la capacité adaptative dans les six dimensions de chaque mode mental. Le √IP2APRO fait cette analyse dans un contexte « normal » (triangle vert) et « difficile » (triangle rouge).
Cet outil a été étendu pour mesurer la capacité de leadership, et d’autres extensions sont étudiées en rapport avec l’agilité et les collectifs.
Une discipline de l’Approche NeuroCognitive et Comportementale, la Gestion des Modes Mentaux, propose des techniques et des outils issues des Thérapies Cognitives et Comportementales qui permettent d’assouplir les ancrages dans le mode mental automatique qui font obstacle au changement et à la transformation et nous exposent aux manœuvres de l’ingénierie du consentement.
Avec de l’entrainement, le « système d’inhibition » décrit par Olivier HOUDE dans son ouvrage « apprendre à résister » peut faire taire les pensées automatiques à l’origine des biais cognitifs.
Mauvaise nouvelle : la courbe d’oubli d’Hermann Ebbinghaus aura tôt fait de rétablir la situation initiale. C’est donc par un apprentissage patient et renouvelé que les capacités adaptatives s’entretiennent pour nous tenir à distance de nos démons.
Bonne nouvelle : cet effort continu d’apprentissage semble pouvoir contrer les dévastations de certaines maladies dégénératives du cerveau.
Que la force du mode mental adaptatif soit avec vous.